Michel Foucher pour le Conseil d’analyse de la société
13 avril 2008
Une analyse des enjeux de la construction européenne face à la mondialisation.
Comme les cartographes de l’Antiquité l’avaient compris et représenté, l’Europe est une partie du monde, Europa pars. Elle n’est qu’une partie du monde et ne fait sens que dans sa relation au monde tel qu’il est. Mais à l’âge classique de la construction européenne, le succès du triptyque fondateur - paix / démocratie / prospérité - a conduit les Européens à ne s’attacher qu’à eux-mêmes, sur un territoire borné, en négligeant ce qui se jouait alentour. Après 1989, ils ont compris que leur réussite avait le plus grand attrait sur les périphéries, pressées de rejoindre le centre. D’où une extension qui paraît sans fin du territoire de l’Europe instituée et qui interpelle les citoyens : il est plus aisé de se situer dans la saga temporelle de la construction européenne que dans son espace ; cette inconscience territoriale est un facteur d’incertitude politique. Ils découvrent aujourd’hui qu’un vaste monde, réel et en mouvement rapide, les entoure, parfois perçu comme menaçant dès lors que l’ère de la domination et de la centralité européennes a vécu. Mutation d’époque, donc changement d’échelle et nouveau paradigme à énoncer.
La nouvelle demande d’Europe ne peut pourtant pas se réduire à celle d’une protection et de la constitution d’un ensemble fermé. Comment faire place au « dehors » pour faire vivre le « dedans » comme société ouverte ? Comment agir dans un monde mu par de puissants intérêts géopolitiques nationaux particuliers quand on n’est ni un Etat ni une nation, comme c’est le cas de l’Union européenne ? Comment peser sur des acteurs plus enclins aux rapports de force qu’aux compromis ? Comment prendre en compte, dans nos réponses et notre insistance sur les valeurs, la part de ressentiment et la mémoire longue des peuples qui sont entrés dans le jeu ? Bref comment influencer sans dominer ? Sans doute par la diffusion vertueuse des règles négociées de la part d’une puissance qui se veut civile et normative. Ou encore, dans les interventions préventives, par des actions autant civiles et politiques que militaires. Ou par une générosité dont l’efficacité serait moins proportionnelle à son montant qu’aux modalités conjointes de décision de son affectation, en direction des sociétés en développement.
Mais l’Union peut faire plus et mieux. Face aux analyses qui confondent monde et mondialisation pour ne considérer que la dimension économique des choses en niant l’histoire et la géographie, je soutiens que l’Union politique européenne, par sa culture du compromis entre des visions nationales spontanément divergentes et sa pratique avérée de la codécision, préfigure un modèle coopératif, qui peut être attractif et contribuera à peser sur le cours de l’histoire. Ce qui est très précisément ce que les citoyens européens attendent de l’Union. A condition de s’accorder, de manière réaliste et durable, sur un corpus d’intérêts européens partagés, clairement explicités et présentés ici en manière de recommandations. On ne pourra pas faire prospérer l’art de vivre européen sans une forte dose de lucidité sur le cours du monde et une volonté d’y agir. Sans non plus s’ouvrir au regard extérieur.